« Contrôle », « gestion » ou « freination » de la myopie… Différents termes sont aujourd’hui employés pour qualifier les stratégies thérapeutiques permettant de limiter la progression de la myopie chez les enfants et les adolescents.
Quatre solutions ont aujourd’hui fait preuve de leur efficacité dans des études récentes. Quelles sont ces solutions ? A qui s’adressent-elles ? Comment en bénéficier ? Quand faut-il les démarrer ? A quel moment les arrêter ?
Passage en revue des informations clés à connaître sur la freination de la myopie.
Qui est concerné par la freination de la myopie ?
Les méthodes de freination de la myopie concernent particulièrement les enfants dont la myopie évolue ou risque d’évoluer rapidement. Différents critères, à évaluer au cas par cas, peuvent conduire à la prescription d’un dispositif de freination de la myopie par l’ophtalmologiste : progression plus rapide que la moyenne (> 0,5 dioptries par an), apparition précoce de la myopie, existence d’antécédents familiaux.
Myopie évolutive : plus de 500 000 enfants concernés en France
Selon les estimations de la Haute Autorité de Santé fondées sur une étude épidémiologique de référence sur la progression de la myopie [1], en 2022, 510 000 enfants de 6 à 15 ans souffraient de myopie évolutive (progression supérieure à 0,5 dioptries par an).
Permettre à ces enfants de bénéficier d’une solution pour freiner leur myopie constitue donc un enjeu de santé majeur.
Quand le contrôle de la myopie doit-il commencer ?
Un traitement freinateur peut être mis en place chez l’enfant, dès lors qu’une myopie évolutive est diagnostiquée, d’autant plus que la progression est rapide (> -1,00 dioptrie par an) ou modérée (entre -0,50 et -1,00 dioptrie par an).
S’il n’existe pas de « myopie minimale » ni « d’âge minimal » théorique pour commencer à freiner la myopie, les études récentes incitent à démarrer ce type de traitements le plus tôt possible chez les enfants à risque (dès l’âge de 6/7 ans).
L’âge est en effet un facteur déterminant dans la progression de la myopie et il existe notamment un pic de progression de la myopie entre 7 et 12 ans [2].
Quelles sont les différentes solutions pour freiner la myopie ?
L’adoption d’une bonne hygiène de vie est une mesure simple et efficace pour limiter l’aggravation d’une myopie installée : augmentation du temps passé en extérieur à la lumière naturelle, réduction du temps consacré aux activités de près comme les écrans, rythme de sommeil régulier…
Au-delà de ces actions environnementales, il existe aujourd’hui trois dispositifs « optiques » et un médicamenteux ayant montré une efficacité pour ralentir la progression de la myopie chez les enfants et les adolescents [3] :
Des traitements de freination parfois combinés
La combinaison de différentes solutions de freination est parfois prescrite par les praticiens pour ralentir la progression des myopies très évolutives : verres de freination + atropine, lentilles souples défocalisantes + atropine ou orthokératologie + atropine.
Comment choisir la solution de freination la plus adaptée ?
Pour être efficace, toute stratégie de freination doit être adaptée au profil du patient.
Lors d’une première consultation, l’ophtalmologiste réalise un bilan approfondi pour définir en accord avec l’enfant et sa famille le type de dispositif de freination pouvant être envisagé.
Au cours de cette consultation, différents paramètres sont pris en compte, notamment :
- les éventuels antécédents familiaux de myopie ;
- le mode de vie de l’enfant (activités sportives notamment) ;
- ses attentes ;
- son niveau de motivation et de maturité ;
- l’âge d’apparition de sa myopie ;
- la vitesse d’évolution de sa myopie sur les dernières années (historique des corrections) ;
- la mesure de sa réfraction ;
- la mesure de son œil (longueur axiale, courbure de la cornée…) ;
- un bilan orthoptique.
Sur la base de ce bilan, le praticien propose à l’enfant la solution la plus adaptée pour ralentir la progression de sa myopie (verres de freination, orthokératologie, lentilles souples de jour ou atropine) en accord avec celui-ci et ses parents. Le coût du système doit aussi être évalué avec les parents.
Comment évaluer l’efficacité d’un traitement de freination ?
Deux indicateurs clés permettent d’évaluer l’impact d’un traitement de freination sur l’évolution de la myopie.
La mesure de la réfraction
Elle permet de définir la puissance du système optique (lunettes ou lentilles) qu’il est nécessaire d’ajouter à l’œil pour que la vision soit nette. La réfraction est généralement mesurée à chaque examen de la vue.
La longueur axiale
La mesure de l’œil d’avant en arrière. Elle correspond à la distance entre le sommet de la cornée et la fovéa, zone centrale de la rétine où la vision est la plus nette.
Elle est mesurée à l’aide d’un instrument appelé biomètre optique (sans toucher l’œil de l’enfant). Si la mesure de la longueur axiale n’est pas pratiquée par tous les ophtalmologistes, de nombreuses études ont montré l’importance de suivre régulièrement ce paramètre qui permet d’évaluer l’efficacité d’un traitement freinateur de façon plus objective que la mesure de la réfraction.
Il existe notamment une relation étroite entre la longueur axiale et les risques de complications associés à la myopie.
A partir de ces paramètres, il existe deux méthodes principales pour déterminer si l’évolution de la myopie d’un enfant bénéficiant d’un dispositif de freination est satisfaisante ou non :
- l’évolution de sa réfraction et/ou de sa longueur axiale est comparée à la progression moyenne attendue sur un an pour un enfant « non traité » du même âge (c’est-à-dire un enfant portant de simples lentilles ou lunettes de correction de la myopie). Si la myopie de l’enfant traité progresse moins vite que la moyenne, alors le dispositif de freination est considéré comme efficace ;
- la longueur axiale de l’enfant traité est tracée sur une courbe de croissance. Si la courbe s’aplatit avec le temps, cela indique un ralentissement de la croissance des yeux. La solution de freination de la myopie mise en place peut donc être considérée comme efficace.
L’évolution de la réfraction et de la longueur axiale permettent d’évaluer l’efficacité d’un traitement de freination de la myopie.
Que faire si le traitement de freination de la myopie ne fonctionne pas comme prévu ?
Il est nécessaire d’avoir un recul suffisant et d’attendre au moins un an avant de pouvoir mesurer l’impact d’un traitement de freination sur la progression de la myopie.
Il peut toutefois arriver qu’au moment du bilan annuel, le traitement de freination n’ait pas produit les effets escomptés et que la myopie ait progressé de façon plus importante que prévu.
Différents facteurs pouvant expliquer cette progression doivent alors faire l’objet d’une discussion avec l’enfant (et sa famille) avant de prendre une décision sur la poursuite ou non du traitement :
- le traitement est-il suivi de façon rigoureuse ou régulière ? ;
- l’enfant a-t-il un mode de vie susceptible de favoriser le développement de sa myopie ? (temps important passé en vision de près, sur écrans, absence de pauses régulières, distance de lecture faible, etc.).
- une maladie de l’œil a-t-elle bien été éliminée surtout si la myopie progresse très rapidement ?
Le cas échéant, un changement de traitement de freination pourra être envisagé par l’ophtalmologiste si le traitement préconisé en première intention s’avère inadapté.
Quand peut-on arrêter de freiner la myopie ?
Les traitements de freination de la myopie peuvent généralement être interrompus dès lors que la croissance de l’œil s’est stabilisée, c’est-à-dire au début de l’âge adulte. De façon concrète, il est souvent conseillé d’attendre la fin des études supérieures pour suspendre ce type de traitements car le travail intensif de près, lié aux études peut favoriser la progression de la myopie.
Il peut néanmoins arriver qu’un traitement de freination soit interrompu plus tôt si celui-ci est moins bien toléré au fil du temps. Dans tous les cas, il revient à l’ophtalmologiste ayant prescrit le traitement de freination de déterminer le moment à partir duquel ce dernier pourra prendre fin.
Télécharger la brochure sur la freination de la myopieInterview du Professeur Dominique Bremond-Gignac
Sur les 510 000 enfants ayant une myopie évolutive en France, quelle est la proportion d’enfants bénéficiant de solutions de freination ?
Aujourd’hui probablement nettement moins de 100 000 enfants en France seraient équipés ou traités soit 5 fois moins que ce qui pourrait être réalisé. Il est dommage qu’il n’y ait pas une prise de conscience plus importante car c’est véritablement le handicap visuel de l’enfant qui est en jeu.
Comment expliquer le retard de la France sur ce sujet ?
En France, il est parfois assez difficile de faire passer le message sur des solutions innovantes. En effet la myopie est ressentie pour les enfants comme une simple nécessité d’adapter des verres correcteurs simples sans en connaitre les risques visuels sévères à plus long terme.
A qui les solutions de freination s’adressent-elles ?
Les solutions de freination peuvent être adaptées à tous les enfants et adolescents parfois même aux adultes jeunes. Elles permettent une protection du « capital visuel » de l’enfant.
A partir de quel âge un enfant peut-il bénéficier de ces dispositifs de freination ? Jusqu’à quel âge ?
En premier lieu toutes les précautions préventives environnementales peuvent être appliquées depuis le plus jeune âge. Dès l’âge de 4 ans un dispositif de freination peut être proposé. Ce dispositif n’est proposé que si la myopie est évolutive c’est-à-dire si l’enfant nécessite une augmentation de sa prescription de verres de 0,5D dans l’année. Avant cet âge, si une myopie est évolutive, il est impératif de faire un bilan pour rechercher une maladie qui expliquerait la myopie précoce et évolutive.
Comment choisir la solution la plus adaptée à un enfant myope ?
Il n’y a pas de solution unique pour freiner la myopie. Nous avons à disposition trois types de dispositifs optiques et un collyre. La solution freinatrice doit être choisie en accord avec l’enfant et les parents après explication des différentes possibilités. Ces solutions doivent tenir compte des habitudes de l’enfant et de leur potentielle observance du traitement. Ainsi le traitement optimal est prescrit mais un suivi est essentiel pour évaluer l’efficacité et l’observance de l’enfant.
Les différentes solutions de freination peuvent-t-elles être combinées ?
Dans un premier temps en général un seul type de solution est appliqué. Cependant, si lors du suivi il s’avère que la solution est insuffisante en matière d’efficacité à atteindre alors une solution combinée peut être envisagée. Les verres freinateurs, les lentilles freinatrices et l’orthokératologie peuvent être combinées avec le collyre à l’atropine microdosée.
Comment évaluer l’efficacité de ces solutions de freination ?
L’enfant doit impérativement être suivi régulièrement après prescription du système freinateur optique ou collyre. Pour le suivi il faut évaluer tous les 6 mois l’évolution de la myopie en dioptries et la longueur de l’œil. Ceci permet de juger de l’efficacité et de déterminer si il est nécessaire d’ajuster le traitement. Ceci permet aussi de rassurer les parents sur la faible évolutivité de la myopie.
Quel est le retour de vos patients sur ces solutions de freination (parents et enfants) ?
Dans l’ensemble les parents sont ravis de voir que leurs enfants changent beaucoup moins fréquemment leurs verres correcteurs témoignage de l’efficacité du traitement. Ils sont aussi rassurés de la très bonne tolérance des dispositifs freinateurs. Enfin certains parents eux-mêmes très myopes sont aussi satisfaits de voir que leurs enfants n’évolueront pas comme eux et seront nettement moins myopes.
Quel message aimeriez-vous transmettre aux parents d’enfants myopes qui sont réticents sur ces solutions de freination ?
Pour les parents d’enfants myopes il est important qu’ils prennent conscience que la myopie est une véritable maladie avec des complications visuelles pouvant entrainer un handicap visuel. Nous avons la chance d’avoir des solutions freinatrices simples à appliquer et diverses et il serait dommage de ne pas les utiliser au mieux. Il est important de tout faire pour préserver « le capital visuel » des enfants.
1Tricard D, Marillet S, Ingrand P, Bullimore MA, Bourne RRA, Leveziel N. Progression of myopia in children and teenagers: a nationwide longitudinal study. Br J Ophthalmol. 2022 Aug;106(8):1104-1109. doi: 10.1136/bjophthalmol-2020-318256. Epub 2021 Mar 12. PMID: 33712479; PMCID: PMC9340031.
2Tricard D, Marillet S, Ingrand P, Bullimore MA, Bourne RRA, Leveziel N. Progression of myopia in children and teenagers: a nationwide longitudinal study. Br J Ophthalmol. 2022 Aug;106(8):1104-1109. doi: 10.1136/bjophthalmol-2020-318256. Epub 2021 Mar 12. PMID: 33712479; PMCID: PMC9340031.
3Bremond-Gignac D. Myopie de l’enfant [Myopia in children]. Med Sci (Paris). 2020 Aug-Sep;36(8-9):763-768. French. doi: 10.1051/medsci/2020131. Epub 2020 Aug 21. PMID: 32821053.